Depuis septembre 2009, la goélette Tara accompli un tour du monde afin de mieux connaître les micro-organismes marins, globalement connus sous l’appellation de plancton, et tenter de mesurer comment, ils réagissent aux changements climatiques. J’ai la chance de pouvoir embarquer sur l’étape entre Savannah (Géorgie) et New- York, et ai l’ambition de la partager avec le plus grand nombre.
Tous ceux qui sont revenus naviguer sur Tara le savent, retrouver la « grosse baleine » est toujours un moment émouvant. On cherche d’abord ses deux mâts, de même taille, avec leur tâche orange fluo en tête, puis une fois repérée la mâture, on aperçoit les flancs arrondis et hauts sur l’eau. Et reviennent alors les émotions vécues à bord, les skis que l’on déchargeaient avec l’équipe des Montagnes du silence, au départ de la Route de Shakelton, la navigation dans les glaces de la péninsule Antarctique, les longues heures d’attente sur le pont, à l’avant, avec le photographe Sebastiao Salgado, dans l’attente de l’apparition d’un léopard de mer, les conversations dans la timonerie ou dans le carré… J’ai en effet embarqué sur Tara en 2003, lorsqu’Etienne Bourgois a fait l’acquisition de l’ancienne goélette Antarctica de Jean-Louis Etienne et ex-Seamaster de Peter Blake. J’avais alors accompagné l’équipage pour rapatrier le bateau entre Newport et Camaret.
Puis avec Paul Pellecuer, guide de montagne, nous avons monté une expédition en Géorgie du Sud avec une équipe de sourds, les Montagnes du silence, et nous avions loué Tara pour l’occasion. J’avais ensuite accompagné l’équipage de Tara en péninsule Antarctique. C’était il y a déjà 7 ans.
Depuis, Tara a vécu une dérive sur l’océan glacial Arctique, afin d’étudier les impacts du réchauffement climatique sur la banquise (c’était l’expédition Tara Arctic) et est donc en train de boucler son tour du monde à la découverte du plancton.
Avec Tara Océans, le pont du bateau que je retrouve s’est encombré d’une cabane, le local « humide », qui permet aux scientifiques de filtrer l’eau de mer remontée par la « rosette », qui siège elle aussi sur le pont à l’arrière. Une cabine est transformée en laboratoire « optique » : les scientifiques passent leurs échantillons de micro- organismes fraîchement prélevés sous l’œil des microscopes, des appareils photos et caméras.
Une chose m’a frappée depuis mon embarquement lundi 23 janvier : dans les expéditions que j’ai vécues à bord auparavant, en Géorgie du Sud ou en Antarctique, les stars s’appelaient icebergs, manchots, otaries, et on les photographiait, filmait, sous toutes les coutures. Aujourd’hui, avec Tara Océans, les stars ont pour noms virus, bactéries, diatomées, copépodes… Elles font l’objet de toutes les attentions, alimentent toutes les conversations. Un écran les passent en boucle sur une cloison du carré, où ces « poussières de mer », invisibles pour la plupart à l’œil nu, affichent leurs formes si originales et belles.
Dans les jours qui précèdent le départ, c’est l’effervescence à bord : les scientifiques de ce « leg » (étape), préparent leurs tubes, selon le protocole défini au préalable pour l’ensemble de l’expédition ; avec Loïc Vallette, le capitaine, ils analysent les cartes des courants et étudient quel sera le lieu idéal des « stations » du leg ; le matin, Tara reçoit la visite de collégiens et lycéens de Savannah ; mardi matin, je faisais partager cette expérience aux conseillers du Conseil Économique Social et Environnemental, en direct par Skipe ; mardi après-midi, les deux chefs scientifiques de l’étape, Lars Stemman et Daniele Iudicone, présentaient les travaux de Tara Océans à l’université de Savannah ; et le soir, apéro pour l’équipage, Marc Picheral, ingénieur de recherche au laboratoire océanographique de Villefranche, venait d’apprendre que le CNRS allait lui remettre le « Cristal », la plus haute distinction pour les ingénieurs de recherche.
Ce jeudi, nous descendrons la Savannah River, à l’instar des porte containers qui transitent par ce que l’on tient pour le deuxième port de commerce des Etats-Unis. La mer est à une vingtaine de milles et nous devrions avoir des vents portants pour ce départ.
Bon vent à tous et à très bientôt depuis le large !