Au large du cap Hatterras

Bonjour à tous,

Comment vous exprimer le bonheur d’être là, à bord de Tara, dérivant au large du cap Hatterras, si ce n’est en vous parlant du privilège que je ressens d’être au plus près de l’exploration des océans, de la connaissance, de partager des moments finalement très simples, avec les découvreurs de l’infiniment petit, de ces « poussières de mer », pour reprendre la belle image d’Anita Conti quand elle parlait du plancton.


Je les trouve touchant ces biologistes, ingénieurs océanographes, spécialistes des bactéries ou des protistes, qui manipulent leurs instruments de prélèvements avec d’infinies précautions, recueillent la semence océane finalement dérisoire et pourtant si riche et si fragile au fond de leurs filets. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux gestes des enfants explorant l’estran, avec un seau et une pelle et collectant crevettes, crabes, coquillages et lambeaux de laminaires.
Ce jeu d’enfant est devenu un pan de leur métier : aller prélever l’infiniment petit de l’océan à la source. Les micro-organismes collectés après filtrages, ne sont pas abandonnés dans un coin du jardin, mais sont précieusement conservés dans des flacons ou petits tubes, déjà étiquetés de leur code barre (et là je ne peux m’empêcher de penser aux tubes de l’infirmière venue me faire une prise de sang). Quelques gouttes de formol pour certains, la congélation pour d’autres, et ces précieux échantillons prendront l’avion à la prochaine escale, direction l’un des 35 laboratoires européens ou américains impliqués dans Tara Océans.

Ce dimanche après-midi, le vent a enfin un peu molli, la mer a cessé de faire rouler la grosse baleine, le groupe électrogène nécessaire pour actionner les 2100 mètres de câble indispensables à l’immersion de la « rosette », des « bongos » ou du « régent », a bien voulu redémarrer (suite aux bons soins de Daniel, le « chef mec » et de Loïc, le skipper).

 

La « rosette » au moment de l’immersion.*

 

Immersion des « Bongos », appelés ainsi car ils ressemblent aux tambours africains du même nom.

 

**Marc Picheral, ingénieur océanographique, qui coordonne la mise à l’eau des instruments.

 

Tara a rejoint le waypoint fixé par Lars Stemmann, océanographe-biologiste et chef de mission sur cette étape, et Daniele Iudicone, océanographe-physicien et l’un des coordinateurs de Tara Océans.

 

***Daniele Iudicone, ingénieur océanographe et Loïc Vallette, le capitaine.

 

Nous voici donc surplombant le « corps » du Gulf Stream pour lequel ils sont tous venus. Ce courant chaud qui débite en ces lieux
55 millions de mètres cubes d’eau par seconde, soit 5000 fois le débit du Rhône ou 300 fois le débit de l’Amazone, intrigue et passionne.
Quels sont les différentes espèces de micro-organismes, des virus aux larves de poissons, qui l’habitent ? Comment évoluent-elles au cours de leur voyage portées par ces masses d’eau chaude ? Quels sont les organismes qui vont survivre dans ces anneaux d’eau chaude qui se « détachent » du Gulf Stream et s’isolent au sein des eaux froides du courant du Labrador plus au nord ?

A bord, les observateurs que nous sommes, comme à terre les médias ou les enfants, pressent les femmes et hommes de science de questions ? Quels sont ces micro-organismes que l’on voit gesticuler au fond du réceptacle ? Peut-on les voir au microscope ? Avez-vous découvert de nouvelles espèces ? Que vous enseignent Tara Océans ? Mais les femmes et hommes de science, savent avant tout qu’ils ne savent pas, « il faut attendre », « cela peut prendre des années », « l’analyse des premiers échantillons de quelques stations nous révèle un grand nombre de gènes inconnus ».
On voudrait en savoir plus, tout de suite. Mais à les écouter, à les interroger les uns les autres, je comprends que la richesse de Tara Océans est aussi dans la vision globale qu’elle permet de tirer des 144 stations déjà effectuées autour de la planète, dans le travail collectif qui associe biologistes, océanographes, biologistes moléculaires, bio-informaticiens, dans le partage de la science avec le plus grand nombre. De les voir prendre autant de soin, avoir autant d’attention pour cet infiniment petit des océans, je comprends aussi plus que jamais à quel point la mer est précieuse.

 

****Sophie Marinesque, en charge des images impliquant de plancton à bord.


 

Déjeuner dans le cockpit de Tara, cela était possible hier, mais le vent est trop frais aujourd’hui.

 

Le soleil vient de se coucher, la collecte va se poursuivre une partie de la nuit semble-t-il, car il faut profiter de ce temps calme avant le prochain coup de vent. Sur le pont, on commence à empiler les couches, car la température a chuté à 10°. Et les filets et la rosette continuent leur ronde.

 

Bon vent à tous !
Catherine Chabaud

 

 

*La « rosette » au moment de l’immersion. Composée de tubes, elle permet de récolter jusqu’à 96 litres d’eau de mer à différentes profondeurs.


** »C’est Marc Picheral, ingénieur océanographique, qui coordonne la mise à l’eau des instruments. La méthode est très cadrée et réalisée en tenant compte de la sécurité des hommes et du matériel. Le port du gilet de sauvetage est obligatoire. »Vincent Hilaire ne perd rien de la vie à bord et alimente les tv et le site Tara Océans.


***Daniele Iudicone, ingénieur océanographe et l’un des coordinateurs de l’expédition, regarde la carte des courants chaud (Gulf Stream) et froid (Labrador) avec Loïc Vallette, le capitaine.


****Sophie Marinesque, en charge des images impliquant de plancton à bord, recueille de l’eau tout juste remontée par le rosette. La rosette de son vrai nom CTD (qui mesure les paramètres de salinité, température, profondeur), est également équipée d’une caméra.
Derrière, Sophie, on aperçoit Lars Stemmann, recueillant également de l’eau. Lars est le chef de l’équipe scientifique de cette étape, il fait de l’écologie marine et est maître de conférence à Paris VI.